Le pied diabétique

Le diabète est une affection fréquente qui touche près de trois millions de personnes en France. Le pied est le siège principal des complications qu’engendre cette maladie puisque 90% des patients diabétiques hospitalisés le sont pour traiter une pathologie du pied.

Malgré une politique de santé publique fortement axée sur l’information et la prévention, 10 à 15% des patients diabétiques doivent encore aujourd’hui subir une amputation quand tous les recours thérapeutiques ont échoué à stopper les effets dévastateurs de cette maladie. Il est donc très important de poursuivre les efforts de prévention individuelle, qui constituent la meilleure chance d’optimiser la qualité de vie des patients, en parallèle avec la recherche fondamentale sur la maladie elle-même.

I. Complications générales du diabète

Les modifications métaboliques engendrées par le diabète génèrent schématiquement trois types de complications majeures :

Complications neurologiques

L’atteinte des nerfs périphériques provoque des déficits sensitifs et moteurs qui touchent principalement les nerfs des membres inférieurs (jambe), avec une prédominance distale : la lésion du nerf est d’autant plus importante que l’on est proche des extrémités.

Complications vasculaires

Les dépôts de cholestérol entraînent une obstruction progressive des gros troncs artériels (macro-angiopathie) ainsi qu’une altération des petits vaisseaux (micro-angiopathie). Ces deux phénomènes provoquent une artérite prédominant au niveau des membres inférieurs ainsi qu’une déficience de la cicatrisation. Les lésions cutanées cicatrisent mal, créant autant de portes d’entrée pour les germes responsables de pathologies infectieuses.

Complications infectieuses

Le système immunitaire du patient diabétique est fragilisé. Les diabétiques vont plus facilement contracter des infections bactériennes et sont également plus vulnérables aux mycoses de la peau et des ongles. En outre, les altérations métaboliques observées diminuent l’efficacité des traitements antibiotiques et antimycotiques chez ces patients.

II. Répercussions de ces complications sur le pied

Conséquences des atteintes neurologiques

La quasi-totalité des pathologies rencontrées sur le pied diabétique a pour origine l’atteinte neurologique. Il faut distinguer deux types de lésions du système nerveux :

1. Les atteintes sensitivo-motrices

Ces atteintes des nerfs périphériques, prédominant au niveau des membres inférieurs, constituent la neuropathie diabétique, principalement de type polynévrite, responsable de troubles moteurs et sensitifs. Les troubles moteurs se caractérisent par une diminution de la force musculaire, principalement au-dessous du genou. Le plus souvent, le patient éprouve des difficultés à relever la pointe du pied. Dans les cas les plus sévères, il y a apparition d’un steppage à la marche. Ce tableau révèle alors une atteinte du nerf sciatique poplité externe par la neuropathie diabétique.

Les troubles sensitifs se traduisent quant à eux par une atteinte progressive des divers modes de la sensibilité : épicritique, nociceptif, thermique ou pallesthésique. On trouve ainsi, plus ou moins combinés, des déficits de la perception au toucher, des douleurs, des paresthésies ou une hypoesthésie. On note également des troubles de la sensibilité profonde mis en évidence par le test du diapason ou le test de position des orteils yeux fermés.

L’apparition de ces troubles de la sensibilité est souvent redoutable car le pied n’étant plus aussi bien informé des agressions externes ou des paramètres spatiaux nécessaires aux ajustements fins requis par l’action complexe que représente la marche, encourt davantage de risques traumatiques dont on a dit combien ils étaient spécialement dangereux chez le diabétique de par sa cicatrisation défaillante et sa vulnérabilité aux infections.

2. Les atteintes neuro-végétatives :

Au niveau du pied, le système nerveux végétatif (SNV) véhiculé par les nerfs moteurs et sensitifs est lui aussi atteint par la maladie.

Au lieu de répartir uniformément le sang artériel entre le squelette osseux et la peau, il va privilégier la vascularisation des tissus cutanés au détriment du squelette. Ce dysfonctionnement va entraîner un dérèglement du système d’apposition/résorption osseuse responsable des arthropathies diabétiques.

3. Les atteintes ostéo-articulaires et cutanées induites par les dégénérescences neurologiques :

Les Arthropathies diabétiques

Le pied est particulièrement touché par ce processus de résorption osseuse car ce dernier est maximal au niveau du cou de pied (tarse) et du gros orteil, tous deux vitaux pour la marche. Les articulations deviennent rouges, gonflées, chaudes mais ne sont jamais douloureuses. On parle d’atteintes pseudo-inflammatoires.

Apparaissent ensuite des déformations telles que l’effondrement de la voûte plantaire par atteinte du tarse ou des luxations des orteils (pied cubique de Charcot).

Signes radiologiques :

Mise en évidence de zones d’ostéoporose et de lyse osseuse, mais aussi d’images d’ossifications (ostéophytes) telles que les épines calcanéennes car la résorption s’associe à une construction de structures aberrantes en marge de toute fonctionnalité.

Empreinte podomètrique mettant en évidence une hyperpression sous l'avant du pied droit

Conséquences cutanées de l’atteinte neurologique et osseuse sur le pied

Les différentes déformations osseuses vont modifier la forme du pied et l’uniformité de ses appuis plantaires  On va voir apparaître des appuis pathologiques à la marche avec formation de zones cornées (hyperkératose) en regard des zones de plus forte pression. L’absence de sensibilité à la douleur souvent présente a ce stade de la maladie ainsi que le manque de prévention sont souvent responsables de la transformation de ces durillons en maux perforants plantaires (MPP).

En l’absence de prise en charge rapide, ces lésions cutanées évoluent vers la chronicité car la cicatrisation ne se fait pas et des ostéites (atteinte du squelette) sont souvent à craindre.

Les ampoules qui peuvent apparaître suite à un conflit avec la chaussure, bien que d’apparence banale, doivent être traitées rapidement dans de bonnes conditions d’asepsie car elles sont source d’infection avec les conséquences dramatiques que l’on sait dans un contexte de diabète.

La plupart de ces pathologies surviennent à un stade de la maladie diabétique où le patient ne rencontre pas de symptomatologie douloureuse et peut, si sa vigilance n’est pas éduquée par les personnels soignants, laisser passer une lésion bénigne qui risque à terme d’avoir des effets catastrophiques, alors que des soins simples mais rigoureux auraient suffi à la traiter au début.

Conséquences des troubles artériels ostéo-articulaires et cutanées

Lésions cutanées liées :

Ces lésions graves sont causées par l’atteinte ischémique des artères des membres inférieurs, dans le cadre de la macro-angiopathie diabétique. Ils se traduisent par une diminution du flux sanguin artériel dans le pied avec diminution ou abolition des pouls artériels, refroidissement des téguments. On assiste à terme à la survenue d’ulcères qui peuvent entraîner la nécrose des orteils et se compliquer parfois d’une gangrène.

Lésion cutanée du gros orteil avec inflammation périphérique

Autres infections cutanées

  • Crevasses surinfectées par des bactéries pyogènes nécessitant un prélèvement avec établissement d’un antibiogramme.
  • Mycoses.

Les altérations tégumentaires, immunitaires et vasculaires du diabète ont aussi pour effet de favoriser l’apparition de mycoses qui prennent la forme d’infections au niveau des orteils ou des espaces interdigitaux. Il faut là encore insister sur la nécessité de traiter avec rigueur en gardant à l’esprit que l’évolution sous traitement sera plus longue que chez un sujet non-diabétique.

Le pied du diabétique est fragile, constamment en danger, il peut se compliquer sur les plans vasculaire, neurologique, osseux et cutané, et avoir des conséquences dramatiques pour l’autonomie et la survie du patient.

Un suivi régulier et une prévention efficace permettent heureusement d’éviter biens des maux. Le diabète touchant l’ensemble du corps, les patients sont souvent préoccupés par les répercussions de leur maladie sur plusieurs organes à la fois : ils doivent surveiller leurs yeux, leur cœur, leurs reins, ajuster avec soin leurs niveaux de glycémie plusieurs fois par jour. Comment leur reprocher de ne pas apporter la même rigueur à la sauvegarde de leur pied ? Car si les praticiens sont bien formés à prévenir les complications des grands appareils, on ne peut nier qu’il est rare de les voir examiner les pieds de leurs patients ou prendre le temps de leur expliquer comment en prendre soin, alors que nous avons vu combien c’est un organe qui joue un rôle majeur dans la qualité de vie et la santé d’un diabétique.

Ce sujet est l’exemple même de la nécessité d’informer pour mieux prévenir et de mieux prévenir pour mieux soulager.

Pierre Lapègue



Mis à jour le 11/02/2020

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