Antoine Guillon diagonale des fous 2019

Bravo à Antoine pour sa course : malgré un problème de balisage du peloton de tête qui en a fait vaciller plus d’un, Antoine n’a rien lâché. Grâce à son mental et au soutien de son entourage, Antoine a fini la fameuse diag. Voici son récit :

« Diagonale des Fous 2019, révélation à plus d’un titre…
Allons-y sans détour ; la première révélation, c’est Grégoire Curmer !
Je suis indigné par la méchanceté du débat autour de la victoire de mon ami Grégoire, mais je n’en suis pas étonné, qu’il provienne de coureurs, de certains journalistes ou de personnes sédentaires. Ces détracteurs ont pour point commun l’ignorance de la performance sur le terrain si particulier du Grand Raid de la Réunion. Pour l’avoir couru 13 fois, je mesure l’exploit, incontestable.

Ici, peu importe la côte ITRA. 900 points acquis sur un parcours roulant ne seront pas plus efficaces qu’une mandarine pour jouer un match de ping-pong. Les coureurs aux mollets hauts, aux VMA à plus de 20 km / h se voient, à quelques exceptions près, toujours en difficulté dans les terribles marches de cette épreuve, ne pouvant pas s’aider de bâtons pour soulager leur labeur sous la chaleur accablante, et subissant plus que les autres les impacts dû à l’extrême rudesse du terrain.
Savent-ils seulement que nous avions cette année 2,5 km de plus entre Sans Souci et Grande Chaloupe ? Cela ajouterait 15’ aux 23h18 établies en 2018 par François d’Haene et Benoît Girondel, soit justement le temps réalisé par Grégoire, 23h33.
Nous n’allons tout de même pas lui reprocher de ne pas s’être trompé !

Il n’y a donc rien à ajouter, si ce n’est de chaleureuses félicitations, et je compte sur vous pour partager au maximum cet hommage afin de rendre à César ce qui lui appartient.
Grégoire tu peux dormir tranquille et savourer.
La seconde révélation, c’est celle des faits qui se sont produits en tête de course.
Plongeons au cœur d’une Diagonale qui a failli me coûter un abandon.
Je ne vais pas m’étendre sur ma préparation. Vous savez sans doute que pour faire partie du groupe de tête d’un tel ultra il est nécessaire de s’entraîner régulièrement une vingtaine d’heures par semaine, et parfois bien davantage. J’avais fait l’impasse sur les courses de l’été afin d’être frais pour la Diag. Ce jeudi soir à quelques instants du départ, je me sentais super bien, prêt à enfin descendre sous cette barre des 24 h. Autour de moi, une armada de trailers amoureux de cette épreuve Ô combien technique.
22 h, c’est parti !

L’habituelle ambiance de folie nous escorte jusque dans les hauteurs de la ville, reléguant les Tambours du Bronx à l’état d’une boîte à musique. La dizaine de coureurs dont je fais partie atteint Domaine Vidot en un peu moins de 1h14 conformément au plan. Avant le départ, nous avons pas mal échangé sur notre stratégie, et il s’avérait que la plupart d’entre nous comptait ne pas s’enflammer au départ afin de mieux traverser Mafate par la suite.

C’est donc en file indienne mais sans qu’aucun n’en maîtrise la langue que nous filons raisonnablement vers Notre Dame de la Paix. La nuit est belle, la lune presque pleine, c’est très agréable de courir dans ma zone de confort. J’écoute même mes pulsations, 148, du jamais vu pour moi qui flirte toujours au-dessus de 155 en début de Diag. C’est très bon signe…
Et puis je commence à avoir un tantinet froid. Comme ça ne va pas très vite, je me mets sur le côté pour enfiler ma veste. Je me retrouve seul et accélère pour rejoindre les copains. Un poil en retrait, il y a Nicolas Rivière (futur second ex-æquo) que je passe, puis je me place en fin de file derrière Grégoire Curmer. Un peu de gymkhana dans une ravine ralentit fortement l’allure. Grégoire me laisse la place et nous continuons ainsi notre chemin.
Après un bon km, Grégoire n’est plus visible derrière. Devant moi la file est toujours la même, avec entre autres Diego Pazos, Cédric Chavet, Guillaume Porche, Benoît Girondel. David Hauss est un peu plus loin avec Jordi Gamito.

Le temps passe facilement, nous discutons un peu, le balisage est bien ; je fais d’ailleurs part à Cédric que le début du parcours est mieux signalé qu’à l’ordinaire !
Un peu plus tard, comme si les esprits se rencontraient, nous remarquons quelque chose d’anormal en même temps. Cela faisait quelques minutes que des balises étaient en charpie au sol. Je regarde ma montre que je n’avais pas consultée depuis Vidot et constate que nous devrions arriver au ravito 3 minutes plus tard tout au plus. « Mais pourquoi on est encore sur un sentier ? On devrait avoir une piste maintenant ! » Pour d’autres, c’est un changement de décor qui ne correspond pas. Guillaume est en train de regarder la trace qu’il a chargée sur son téléphone et s’écrie alors que nous sommes complètement à côté du parcours. Un autre précise que nous nous trouvons à 1 600 m d’altitude alors que nous devrions être à 2 100 m !
C’est cuit ! Demi-tour.

Plus haut nous rencontrons d’autres coureurs qui descendent encore et repartent rapidement en pestant (pour rester poli). Quelle galère, c’est long, ça grimpe, pas fort, mais ça laisse penser que nous allons y laisser du temps. Difficile d’imaginer l’ampleur des dégâts, ni de savoir qui se trouve où. Je comprends que nous sommes nombreux dans le même cas.
J’apprendrai plus tard que Grégoire a évité le piège grâce à la connaissance de terrain de Nicolas Rivière ; tant mieux pour lui.
Nous râlons car le balisage est bien présent. On s’interroge sur ce que nous avions vu plus haut et sommes unanimes : dans ces conditions il n’était pas possible de douter du parcours.
Nous atteignons enfin le carrefour de pistes, et prenons le temps de regarder comment était foutu le marquage. Il est bien là, nous indiquant de descendre comme nous nous sommes appliqués à le faire. Un grand ruban de balise pend dans un buisson, un autre est en boule dans le coin opposé, sans aucun doute les restes de ce qui devait fermer l’accès du chemin. Malveillance ou pas, c’est la cata, mais je suis déjà recentré sur un autre objectif, rattraper des coureurs pour boucler le GRR le mieux possible.
Au ravito de Notre Dame de la « Guerre », le verdict tombe, 50 minutes de retard, 304e, 7,2 km et 550 m+ de plus. Ça fera un parcours de 174 km et 10 200 m+ !
A ce stade de la course, il ne reste de la file tranquille que Cédric et moi en retrait. Les autres ont imprimé un rythme rapide ; Benoît et Jordi ont rendu leur dossard sur blessure physique et peut-être mentale aussi.

Les raideurs sont sympas de nous faciliter le passage en s’écartant avec un mot d’encouragement. Je fais de même en leur souhaitant bonne course.
Nez de Boeuf, je suis interviewé par Réunion 1ère pour donner mes impressions. Je m’excuse d’avoir été à la limite de la grossièreté, mais bon, mince, un an de préparation presque acharnée, une attention de tous les instants sur l’équilibre alimentaire, des déplacements ciblés pour peaufiner la prépa afin de grignoter quelques minutes… pour se prendre un vent pareil. Maintenant, gagner la course, c’est comme tenter de pêcher l’ablette avec du fil barbelé et un S de boucher en guise d’hameçon. Ça n’est pas impossible, mais ça s’annonce délicat.
Je repars de là avec Cédric qui se marre de mes remarques. Nous sommes raisonnables sur le rythme et mettons le temps normal pour rejoindre Anne à Mare à Boue.
Elle est rassurante et nous fait part de son étonnement sur la vitesse de Maxime Cazajous ; il est bien énervé ! On imagine qu’il risque de le payer plus tard, mais c’est une réaction bien légitime.

Cette année le froid est intense. Le sol est complètement gelé sur Coteau Kervéguen, mes gants ne suffisent pas à me réchauffer les doigts. Nous remontons une trentaine de coureurs sur cette section d’altitude. Le soleil ne tarde pas à se lever, j’admire devant moi le majestueux Piton des Neiges qui dresse ses parois orangées au-dessus de la végétation glacée, magnifique !
Je laisse Cédric partir. J’amorce la descente sur Cilaos, pas très rapidement à mon goût, j’ai subi un peu le froid et laissé de l’énergie à m’énerver semble-t-il.
Il est évident que je ne prends pas le plaisir habituel jusqu’à Mare à Joseph.
A Cilaos je pointe 20e belle remontée. Je change de chaussettes car je me suis bien enfoncé dans la boue à Kervéguen ! Je repars ravitaillé et avec une sensation de propreté bien supérieure à mon aspect de sanglier sortant de sa bauge. Peu importe, l’habit ne fait pas le moine, et puis je n‘ai pas envie d’être moine, et je ne m’intéresse pas aux habits, je veux juste traverser Mafate et retrouver les copains qui sont devant.

J’aime bien la section qui me conduit au pied du Taïbit, son sol souple, ses courbes qui permettent de courir vite, enfin, relativement, on est d’accord. Un Kényan dirait sans doute : « je déteste ce sol merdique, ces bosses et ces virages qui t’empêchent de dépasser la vitesse de ma grand-mère qui ramène les enfants de l’école » (soit 15 km/h !).
Je retrouve Cédric, c’est cool, il va très bien, puis nous rattrapons le japonais Kenichi Yamamoto qui ne semble pas avoir de ratés pour l’instant (j’anticipe votre question:-))
David Hauss nous rejoint à vive allure (celle du Kényan justement) et nous fait part de ses déboires. Pour lui, 1h de détour, 8 bornes et 600 m+, ça fait mal. Il a la pêche et un apparent solide mental. Ce Grand Raid n’a pas fini de surprendre.

Alors que David s’éloigne, nous rejoignons Renaud Rouanet, encore un bon copain d’entraînement depuis douze ans déjà ! Nous formons un bon trio avec Cédric et continuons jusqu’au ravito.
Je ne suis pas à la fête dans l’ascension du Taïbit. Je dois laisser mes amis partir à leur rythme dans le dernier tiers du col.
Marla, km 77, je prends du retard sur cette section. Je grimpe le col des Boeufs sans rattraper les copains qui comptent 5 minutes d’avance. Mentalement je suis moyen, sans doute touché par le fait de ressentir une inhabituelle fatigue à cet endroit de la course. Il me semblait m’être suffisamment détaché du malheureux fait de course, mais apparemment non.
Plaine des Merles, puis le beau sentier Scout où j’ai le plaisir de courir avec plus d’aisance. Je crois alors pouvoir rejoindre mes amis, en vain, ils doivent filer…
Le sol est parfois moins rocheux, les marches moins régulières par endroits, ça fait du bien. La température est presque fraîche.
Au pointage de Ilet à Bourse je trouve de l’eau pour me ravitailler, contrairement aux indications du road book. Je fais part de mon étonnement aux bénévoles en place.
Je reprends mon chemin, encore plus agacé qu’auparavant car cela n’est pas sérieux. Que les choses soient claires, je me charge d’eau en fonction du temps à passer entre deux points. Je me suis donc trimballé du poids inutilement et c’est idiot.

Enfin, je me rends bien compte que ce ne sont pas les trois cents grammes de surplus qui m’ont entamé autant physiquement. C’est de pire en pire, à tel point qu’après Roche Ancrée je suis scotché dans les marches d’escalier. Je n’avance plus. Comment vais-je sortir de Mafate ? Je pense alors que c’est fini pour moi. Je ne rendrai pas mon dossard à Roche Plate puisque de toute façon il me faut monter le Maïdo, mais je serai dans un tel état là-haut qu’il me sera sans soute impossible de repartir. Je passe de la 13e à la 33e place à Roche Plate. Un bon coup dans l’aile pour la Grive de Salazie (c’est l’un de mes surnoms, moins connu que « métronome »).
Là, je vois Ambroise Carpin, un super ami qui va devenir dans quelques instants un super héros en me sauvant de la fourche du diable.
Il me serre dans ses bras, je dois faire pitié car les applaudissements font place à un drôle de silence. J’annonce que je vais arrêter au sommet. Je n’ai pas le choix, même si je n’ai pas envie, c’est imparable me semble-t-il.

Mes paroles mettent en branle tout un dispositif anti-stoppage-métronomique prémédité, comme si l’un des coureurs qui m’avait doublé avait vendu la mèche.
Et que je te fais un sermon au nom de l’île toute entière, et que je te filme, et que je te fais avaler un cari poulet du tonnerre de Mafate (normalement c’est « de Brest », mais ça faisait trop loin pour respecter la date de péremption), et que tu vas boire ça et encore ça et que c’est dans la tête, et que j’ai déjà meilleure mine, et allez, encore une cuillère pour Anne, et une autre pour les bénévoles et les Réunionnais qui m’aiment.

Antoine Guillon diagonale des fous 2019

Ça y est, ils ont anéanti tout espoir au diable d’arrêter ma course, il s’éloigne avec un balai à chiotte en guise de fourche ! Je me lève et reprends le chemin, ovationné par le public victorieux. J’espère que la montagne leur aura renvoyé l’écho de ce vacarme enthousiaste associé au bruit de mes pas redevenus plus dynamiques, car tout le mérite leur revient, merci infiniment.
L’ascension est fraîche, cool. J’avance bien, régulièrement. Au sommet je relance prudemment, les jambes répondent, le poulet péi était peut-être coureur…paix à son âme.
Anne m’attend depuis bien longtemps, et ça fait du bien de se retrouver. Les gestes sont efficaces, les paroles mesurées, jamais condescendantes car cela me replongerait dans le négativisme. Je troque mes Speedgoat 3 contre des Evo du même nom, je mange bien, bois ce qu’il convient et m’équipe pour la nuit.
Moi qui espérais atteindre la Possession de jour, décidément, je n’y parviens jamais. On en rigole ensemble, le moral est pas mal.
Je quitte l’assemblée et retrouve enfin un rythme bien meilleur. J’apprécie cette forêt de tamarins vieille de plusieurs siècles. Le terrain est joueur, alternant bosses et relances entre les troncs épais parfois couchés en travers du passage. 34e au sommet, je me prends à doubler des trailers pour la première fois depuis Marla ; quelques autres me rattrapent.
La nuit tombe. Dans le bois de goyaviers, le balisage devient rare, encore un problème de débalisage dont j’ai été averti une heure auparavant. J’ai peur de me tromper, content sur le fait qu’il y a peu d’options et que je ne peux de toute façon pas accéder aux remparts plus à droite. Je perds de nouveau mon élan à cause du stress engendré par cette situation délicate.
Après un bon moment j’obtiens confirmation que je suis sur la bonne voie.
La nouvelle portion entre Sans Souci et Ilet Savannah est agréable, bien mieux que le fond de la rivière des galets.
Anne est en bas, avec Cathy, l’épouse de Cédric.
A voir ma tête, elles comprennent que ça ne va pas du tout. J’en ai ras le bol, je suis très fatigué, las mentalement des mésaventures successives.
Seule la promesse de rejoindre facilement Cédric qui est sensé marcher doucement à 30 minutes devant moi me décide à repartir. Je refuse tout ce qui m’est proposé mais repars les poches pleines, étrange…

Finalement je ne suis pas si mal. Je me dis que je devais attendre qu’elles me plaignent pour que je stoppe ici, mais non, encore raté, je cours de nouveau et me rapproche assez de la Redoute pour croire à présent qu’il est temps d’arrêter de cogiter, je vais finir, un point c’est tout, pour tous ceux qui m’envoient des ondes positives.
A chemin Ratineau, pointage, encore de l’eau non prévue dans le règlement, mais cette fois je m’en fiche, juste embêté de m’entendre dire que Cédric n’a pas pointé ici. Je ne l’ai pourtant pas doublé.

Tout va beaucoup mieux, je grimpe bien la Kala, je trottine pas trop mal jusqu’à la Possession où Anne m’apprend l’abandon de Cédric sur la route de Ratineau, ce qui explique son absence de pointage. Renaud est ici, mais il arrête également. La tentative de remontée après le détour nous aura épuisés.
Je suis bien et repars en courant.
La fin m’est agréable, son chemin des Anglais reconnu peu avant, animé de la présence des tangues, rafraîchi par l’air marin que j’inhale profondément.
Anne m’accompagne deux cents mètres à la sortie du ravito de Grande Chaloupe, c’est sympa, et comme je ne vais pas vite ça ne doit pas être dur :-)
Je goûte au plaisir de terminer ce grand parcours. Je suis seul dans la nuit, aucun coureur en vue.
Colorado est maintenant derrière moi, c’est la dernière descente. Le dernier petit challenge que je m’étais fixé au Maïdo sera relevé : terminer en moins de trente heures et obtenir un podium en équipe HOKA ; je me suis raccroché à ce que je pouvais !
Enfin le stade après la rue déserte. Au sol, les confettis brillants qui témoignent de la fête réservée aux champions de cette édition. La pelouse est vide de monde. Sous l’arche, je reconnais mon ami Ludo Collet dont la voix annonce chaudement mon arrivée depuis une bonne minute. 29h39 d’efforts, un tout petit public m’accueille avec grand enthousiasme. Je suis moi aussi très heureux, en communion avec lui, avec Anne qui aura réalisé un Grand Raid très particulier, du sauvetage de métronome en quelque sorte !
Il est vrai qu’après coup je suis personnellement content de ne pas avoir abandonné, mais surtout, je mesure à quel point j’étais entouré d’une ferveur exceptionnelle. Je n’aime pas décevoir, et j’ai espoir d’avoir procuré un peu de bonheur et de courage à tous ceux qui s’accrochent à l’idée que rien n’est impossible, et ils ont bien raison, à l’image des parents du petit Côme qui a parcouru dans les bras de sa maman les cent derniers mètres de la Diagonale des Fous, lui qui n’a pas actuellement la chance de goûter à une bonne santé. Mais ce soir-là, c’est certain, le petit diable qui l’embête en aura pris un bon coup dans l’aile.
Garder confiance, même dans la plus grande difficulté ; je crois bien que cela aura été ma leçon du jour.
Merci à tous »